Clément Thumy : Action Man

Il fait partie de la jeune génération des joueurs français. Moins médiatisé que son pote Ilan, je le connaissais plus de par ses sorties plus ou moins acerbes sur Facebook et ses « bachâges » en règle. Une bonne heure de discussion plus loin et je découvre un hyperactif touche à tout, qui a vite tendance à s’ennuyer et dont la devise pourrait être : de l’action nait la réflexion.

Entre rires et Sport

Clément est né à Chalon sur Saône, deuxième d’une fratrie de trois enfants : un frère de 5 ans son cadet et une sœur ainée née 3 ans avant lui.

« Ma mère est Professeur des écoles, mon père ingénieur informatique et ils ont toujours privilégié un cadre de vie sain à la campagne. On est resté jusqu’à mes 8 ans à Chalon, puis on a déménagé à Fontainebleau pour suivre mon père qui était amené à travailler à Paris.

J’ai toujours été un pitre. J’ai jamais fait de grosses conneries, mais j’adorais m’amuser, rigoler, faire le clown.

A l’école j’avais de bons résultats sans trop travailler. J’ai fait beaucoup de sport, ça fait partie des valeurs familiales, j’ai un peu touché à tout : tennis, judo, basket…

Avec ma sœur et mon frère on s’entend bien. On s’est chamaillé comme tous les gamins, mais on reste proche, j’ai même été témoin de mariage de ma sœur. »

Clément poursuit sa scolarité sans trop de heurts durant les années collège, puis les choses se compliquent au lycée.

«  J’ai eu une adolescence plutôt calme. Enfin je parle au niveau sorties,  Fontainebleau c’est pas vraiment l’endroit où tu t’éclates, parce que sinon calme n’est pas vraiment un mot pour moi : j’ai toujours été plutôt un hyperactif qui ne tient pas en place


Au lycée il faut bosser pour avoir de bons résultats et … J’ai passé ma seconde, et ma Première S tout juste en mettant un coup de boost en fin d’année et j’ai eu mon bac au rattrapage.
»

J’sais pas quoi faire  …

Bac en poche il faut choisir une voie et là ça se complique…

« Aucune vocation, aucune idée de ce que je voulais faire, un peu perdu quoi . Ça a été un choix par défaut : un IUT d’informatique poussé par mon père et puis c’est ce qu’il y avait de plus près de chez moi.

C’est l’été de mon Bac que je découvre le Poker. Tous les étés on allait en vacances chez mes grands-parents dans le sud avec plein de cousins. On est en 2006, ça commence à être la grande mode du Poker avec Bruel et certains de mes cousins ont commencé à jouer.  Ils m’apprennent et je kiff tout de suite. Bon je suis nul, je perds tout le temps du coup je suis la bitch de tout le monde pendant les vacances : on joue toutes les corvées et c’est moi qui m’y colle.

Après les vacances je commence à jouer sur le net en Play Money mais sans vraiment m’investir : pour moi c’est plus une alternative aux jeux vidéo comme FIFA ou Football Manager. Je n’ai pas de fric à l’époque et puis même pour moi il est inconcevable de jouer et perdre de l’argent à un jeu. Alors je jouais mes freeroll organisés par WAM en espérant choper une mallette ou une place au classement. L’argent ne m’intéressait pas, plus la compétition et c’est d’ailleurs toujours le cas.

En 2007 je galérais toujours avec mes études… un jour j’ai gagné 10$ sur un freeroll et le lendemain j’ai joué en cash pendant les cours, j’ai gagné 20$ et j’étais la star de ma classe.
J’ai évidemment tout reperdu le soir même en faisant nimp sur des tournois à 5€ où tout le monde est all in à la première main. J’ai continué à galérer à gagner des centimes à droite à gauche, je m’amusais, ça me suffisait, j’étais pas du tout en mode progression.

Fin 2007 j’ai gagné un free, j’avais 30$ une fortune pour moi et là j’ai commencé à gérer ma BR, à monter à coup de s&g à 1€, de MTT et 6 mois plus tard en passant progressivement les paliers j’avais 5000€ sur mon compte.
Je ne connaissais personne dans ce milieu, je ne savais même pas qu’il y avait des pros !!!
»

Joueur de Poker

L’idée de vivre du Poker commence à trotter dans la tête de Clément, mais il a du mal à franchir le pas :

«  J’en pouvais plus d’aller en cours, je séchais pas mal, le Poker marchait bien mais j’avais peur de me lancer. C’est la vie de grinder online qui m’effrayait : je déteste être seul et de me visualiser solitaire devant mon écran en train de jouer ça me faisait vraiment pas rêver.

J’avais tellement d’absences en cours que je savais que j’allais me faire virer, j’ai arrêté avant que ça arrive, j’ai tenu deux mois dans un 2e IUT et j’ai décidé enfin de me lancer, paradoxalement un très mauvais mois : je venais de perdre 25 000$.

Mes parents ont bien sûr pris ça très mal et on voulut me forcer à faire autre chose, mais j’ai claqué de belles perfs  juste après avoir arrêté les cours et là ils ne pouvaient plus rien dire !!! Depuis ils me soutiennent, me suivent, m’encouragent.»

Clément avoue être un autodidacte complet, mais la rencontre avec d’autres joueurs qui deviendront son cercle proche va énormément faire évoluer son jeu

« Je me suis vite rendu compte que cette vie était faite pour moi, qu’elle me rendait heureux. J’observais les tables des autres pour apprendre, on a commencé à discuter, on se fritait sur des hand-history et c’est comme ça qu’est née la mif … On a commencé à faire des sessions Skype avec Hugo et Yann, une sorte de coaching mutuel qui nous fait tous progresser.

Maintenant on est une dizaine… Mais bon la mif ça dépasse le cadre du Poker : on se voit aussi pour autre chose, on a le même état d’esprit, on s’entend super bien. C’est un vrai moteur, on se motive, on s’aide, on est tous passé par des sales périodes et on est toujours là les uns pour les autres »

Perfidement et faussement naïve je m’étonne qu’il n’y ait pas de filles …Pas de bonnes joueuses ?

« Il y a de bonnes joueuses mais pas de très bonnes. C’est pareil chez les mecs d’ailleurs, les français ont un gros retard sur les allemands, les scandinaves, les américains. Le .fr fait des dégâts on déjoue et quand on revient sur le .com on galère pour revenir au niveau. Actuellement Yorane, Hugo, Ilan et moi on bosse pour rattraper ça.

Je passe 95% de mon temps online, mais j’aime aussi le Live. En fait ce que j’aime c’est gagner donc je préfère par périodes le online ou le live  selon là où je gagne. Mais en ce moment j’ai un vrai déclic en jouant live.  Du coup j’ai plus de plaisir, même si le jeu demande plus de patience et que ce n’est vraiment pas ma qualité principale.

C’est sûr qu’avoir un sponsor facilite beaucoup les choses, mais je me battrais pas pour les castings. Les contrats actuels sont juste du foutage de gueule et les joueurs sponsos de ma génération je trouve que c’est une belle blague. Je trouve ça scandaleux de ne pas prendre des mecs comme Ilan, Hugo ou Yorane qui ont un palmarès énorme que ce soit online ou en  live et qui sont appréciés de tous les joueurs français. Ils ont une vraie crédibilité et une belle personnalité»

Tilts et bougeotte

Les tilts de Clément sont une légende urbaine et souris, écrans, claviers ont souvent volé en éclats lors de sessions perdantes.

« Quand ça m’énerve, ça m’énerve et pas qu’au Poker !!! J’ai pété aussi des manettes de consoles, des raquettes, c’est comme ça je suis un rageux, j’ai un tempérament chaud. Je me suis un peu calmé, j’ai pété mon dernier écran il y a … un an. Un malheureux incident la souris a volé un peu fort. Une fois j’ai sauté à pieds joints sur mon ordi : il valait mieux que je le fracasse plutôt que de continuer à jouer et de tout spew !!!!

Ce qui me met en tilt ? Moi quand je joue mal et les déconnexions ou les bugs. Au départ il y avait aussi les bads qui me rendaient fou !!! Je n’avais pas compris à quel point ils font partie du Poker. Bon je suis pas le plus calme mais je suis loin derrière Ilan !!! Il faut pas qu’on joue ensemble on s’énerve mutuellement »

J’évoque ensuite sa relation passée avec Lucille Cailly une des meilleures joueuses françaises : le poker dans le couple c’est un tue-l ’amour ou une richesse commune ? Complices ou rivaux ?

« Pas de rivalité puisque j’ai coaché Lucille. Maintenant si il y a une passion partagée, un emploi du temps commun, le même style de vie, pour le reste à mon avis ça tue le couple. Toute ta vie est centrée autour du Poker même ta meuf, il n’y a plus que ça et ça bouffe, ça étouffe. Je préfère les relations hors poker.

Maintenant coacher quelqu’un et le voir réussir c’est jouissif. Je n’ai jamais gagné un gros titre Live, mais suivre un de ses poulains dans sa réussite c’est un kiff. Je pense par exemple à la TF de Paul Guichard à Deauville : c’est un de mes meilleurs souvenirs. L’histoire est belle, il était broke, c’était génial à suivre, je ne ressentais aucune jalousie même si il accomplissait ce que je n’ai jamais fait »

Mon côté taquin reprend le dessus : serait-il meilleur coach que joueur ?

« Online je fais de grosses perfs, en Live je manque de réussite. Je ne me focalise pas là-dessus. Je n’ai pas toujours bien joué, parfois ça se joue à pas grand-chose, au moins quand je vois mes poulains perfer, je vois que je ne leur raconte pas de conneries, ça me donne confiance dans mon jeu. J’ai le niveau, ça viendra pour moi un jour, je sais que je peux y arriver » …

Clément adore voyager. Il avoue détester toutes formes de routine et ne pas tenir en place. Il a effectué un road trip en 2013 avec 2 potes qui l’a amené en Thaïllande, au Laos, puis au Cambodge. Départ ensuite pour l’Australie, où il devait rester longuement, mais il a dû écourter son séjour pour des raisons persos.
Sachant qu’il fait partie des joueurs inquiétés par le FISC je lui demande s’il envisage de partir définitivement à l’étranger :

« Je suis effectivement sous le coup d’un contrôle fiscal. Ils me demandent des sommes juste énormes, la procédure suit son cours, j’ai une avocate on verra bien. Je pense qu’effectivement je partirai à nouveau. J’ai déjà vécu 6 mois à Londres, et depuis 1 an et demi je suis à Malte… J’ai envie de partir en Amérique du sud et pourquoi pas de m’y installer si je m’y sens bien. Je fonctionne à l’instinct, je n’ai pas de plan d’avenir, de l’action nait la réflexion, je peux à peine te dire ce que je ferai dans deux jours alors à long terme … »

Pour finir de le mettre à l’aise, je lui demande ce qu’il pense de l’image qu’il peut véhiculer. Quand son nom circule auprès de joueurs amateurs, trois mots surgissent : skill, mais aussi arrogance et melon. Il tombe des nues …

« Arrogant ??? Moi ??? Je trouve pas…. Oui je charrie beaucoup, mais je la ramène pas tant que ça !!! J’ai jamais dit que j’étais le meilleur !!! Je critique, je vanne mais arrogant non … ou alors c’est ma gueule je sais pas … Pourtant je suis accessible, je mets jamais de vent quand on vient vers moi, je réponds quand on me demande des conseils en MP contrairement à certains potes de la mif qui sont parfois un peu élitistes  !!!

Je serai incapable de coacher des débutants ça c’est vrai, mais je respecte totalement les joueurs amateurs. Je comprends parfaitement qu’on puisse aimer jouer pour le plaisir, sans gagner d’argent. Quand il m’arrive de jouer sans enjeu financier, je m’applique tout autant : ce que j’aime c’est gagner. On peut pratiquer le Poker comme un sport pour le plaisir de la compétition.

Je me suis éloigné des forums, je ne lis plus ni le CP, ni WAM. Je joue parfois 13 ou 14h, pas le temps. Je t’ai dit j’ai du mal à fixer mon attention, mais j’ai du mal à rien faire, c’est bizarre …. Je fais du sport par période, je sors, je voyage, j’aime aussi lire et regarder des films, mais là aussi ça me soule vite et il est rare que j’arrive au bout d’un livre ou d’un film … J’attaque 3 ou 4 bouquins en même temps et j’abandonne, un passage un peu long dans un film et je coupe … j’ai besoin que ça bouge !!: »

Ce qui m’a frappé lors de cette discussion avec Clément c’est son humour, son auto-dérision et les rires et sourires qui ponctuaient toute la discussion, alors que pourtant je le cueillais au réveil à 16H de la nuit. J’avais pourtant gardé de lui l’image d’un garçon au visage fermé, planté comme un OVNI sur le trottoir devant Clichy lors d’un Ladies. Il devait sans doute se demander ce qu’il foutait là … Cette interview aura été pour moi une découverte et une confirmation : se méfier des a priori