Interview de Gabriel Nassif : du Magic au Poker
Gabriel Nassif a pris ses quartiers d’été à Las Vegas, où il tentera de décrocher aux couleurs de PokerStars de nouvelles lignes à son palmarès déjà bien fourni. Déjà un ITM sur l’Event#3, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Une carrière de joueur démarrée jeune, au Magic d’abord puis au Poker, retour sur l’itinéraire d’un passionné de cartes.
Gabriel Nassif : le petit dernier
Gabriel est né à Paris et a grandi dans le huitième arrondissement, petit dernier d’une fratrie de 3 garçons :
« Mon père était décorateur, ma mère l’aidait et nous élevait. Mon père est décédé quand j’avais 7 ans et elle s’est donc occupé de moi seule. Bien sûr ça a dû me marquer, mais je n’ai pas souvenir du traumatisme.
J’étais un petit garçon sage, sérieux, je travaillais bien à l’école, toujours dans les 5 premiers de la classe. C’’est vraiment une période heureuse de ma vie : plein de copains dont 2 dans mon immeuble, du foot, des jeux vidéo, une bonne école, le confort quoi … Ma mère a essayé de me mettre à la musique mais ce n’était pas vraiment mon truc. »
Les années Magic de Gabriel Nassif
Suivent les années collège dans le 7e arrondissement à Jules Romain ; là encore Gabriel continue son bonhomme de chemin et découvre le Magic.
« Au départ je ne connaissais personne dans ce collège mais je me suis rapidement fait des potes, certains que je compte toujours parmi mes meilleurs amis. En 4e on a été plusieurs à découvrir Magic, les autres ont arrêté assez rapidement, moi j’ai été passionné direct et le jeu a commencé à rythmer ma vie : j’étais tout le temps fourré à l’œuf Cube à Jussieu puis à Ostelen, j’échangeais et achetais des cartes, je lisais le Lotus Noir.
J’ai continué au lycée, mes résultats s’en sont un peu ressentis, j’ai joué une année en cachette car ma mère ne voulait plus que je joue. Mais j’étais vraiment à fond !!! Je participais à des QT tout en sachant que je ne pourrai pas partir sur le Pro Tour, j’ai même fait huit heures de route une fois. Et puis un jour en 2000 j’étais en ½ finale, j’ai appellé mon grand-frère pour lui demander s’il m’aiderait à négocier avec maman, il a dit oui, j’ai gagné et je suis parti pour mon premier Pro Tour à Chicago.
J’ai quand même fini par avoir mon bac S avec mention ce qui a fait super plaisir à ma mère. On est assez proche, j’ai vécu chez elle jusqu’à mes 27 ans vu que j’étais souvent en vadrouille. Même si on parle finalement peu dans la famille, mais bon pas besoin des mots … »
Gabriel Nassif et le Poker
Gaby s’oriente d’abord vers une licence de Maths à Jussieu :
« Je m’y suis pris trop tard pour intégrer Dauphine, et finalement c’était pas mal d’être à Jussieu près de l’œuf Cube. Puis j’ai découvert le Poker Online chez des potes de Magic aux USA, qui vivaient en coloc. J’étais hyper curieux, je les regardais jouer, je ne comprenais pas grand-chose … J’ai ouvert un compte sur PokerStars en rentrant, mis 500$ dessus en me disant qu’on verrait bien au bout d’un an ce que ça donnerait »
Il commence donc le Poker, mais sa grande passion reste le Magic :
« Depuis à peu près 6 ans le Poker est devenu prioritaire dans ma vie, mais je continue à jouer à Magic, j’aime trop ce jeu. Je crois que si j’avais le choix je ne ferais que ça, c’est une vraie passion. Le Poker c’est plus un travail, un moyen sympa de gagner sa vie en restant chez soi et à son rythme. »
Une forme de lassitude se serait-elle installée ?
« Pas vraiment une lassitude, j’adore toujours autant jouer, mais le niveau général a augmenté, il faut toujours être à 100%. Tu peux grinder un poker ABC, ça gagne mais pas autant que quand tu es à fond, que tu cherches constamment à progresser, que tu te sors de ta zone de confort.
J’ai eu l’an dernier une période de bad run et ça atteint un peu la confiance. Avant je pouvais jouer en 5/10 contre des joueurs très forts, j’étais capable de swinger jusqu’à moins 15 000$ pour remonter après, de me frotter aux meilleurs, de prendre des risques pour me dépasser.
Maintenant je fais plus attention au choix de mes tables, je suis descendu de limites, je sais que les impôts me prennent la moitié de mes gains…
Et puis je ne suis plus tout seul, ma femme qui est américaine ne travaille pas pour l’instant. On s’est rencontrés dans l’univers de Magic, elle est cool et comprend bien le jeu, mais ça change tout d’être en couple. J’ai des responsabilités, j’en aurai encore plus quand je serai papa ce qui ne devrait pas tarder, je sais qu’elle a peur quand je perds et donc bien sûr ça m’affecte un peu. Du coup je prends moins de risques. »
Gabriel évoque les années glorieuses du Poker avec une certaine nostalgie et quelques regrets :
« Je n’ai jamais fait de gros, gros gains sur le .com. J’ai fait des 10e, des 11e places en gagnant 2000 ou 3000$ quand je pouvais en gagner 100 000$. J’aurai dû plus bosser à cette époque-là. J’ai toujours cette impression d’avoir raté le train.
Le .fr a été une bénédiction pour moi car le niveau était beaucoup plus faible et les fields plus petits. Mais même là j’ai un peu loupé le coche car les premiers mois du marché régulé j’étais à Vegas pendant qu’en France tout le monde se gavait. »
Les années Sponsor et l’avenir
Sa passion pour les jeux aura raison de ses études qu’il finit par abandonner peu motivé. Il gagne en effet très bien sa vie entre Magic et Poker et vit chez sa mère donc à peu de frais. Il rencontre Antoine qui lui propose de s’occuper de sa carrière :
« Antoine voulait devenir agent de joueur et moi je ne sais pas me vendre. On a une relation tranquille avec une vraie confiance réciproque. Il y a eu des contacts avec barrière qui n’ont pas aboutis. Sur le coup j’étais déçu de ne pas faire partie de la première team avec Arnaud, Pollak, Cescut, avec le recul c’était un mal pour un bien. En 2012 j’ai signé avec PokerStars comme membre de la Team Online. Dix ans que je jouais sur PS, j’ai de très bons rapports avec les autres joueurs et avec le staff et je pense remplir correctement mon rôle d’ambassadeur de la room.
J’ai une bonne réputation, je joue beaucoup sur la room, je réponds quand je peux aux questions des joueurs … Ils aiment bien venir me parler aux tables, m’encourager et je joue parfois en micro limites pour être accessible à tous.
Et puis PS Live se développe et je commente les ½ finales et les TF des EPT. Mon expérience du CP m’a servie et je pense que mes commentaires sont appréciés. »
Même si Gabriel a un grand respect pour le Poker amateur, il avoue que ce n’est pas son truc :
« J’étais le Parrain du Anger Poker Club, mais je suis un mauvais parrain. Honnêtement c’est pas mon truc. Je déteste aussi jouer au poker avec des potes. Je pense être sociable, avenant quand on vient me parler sur un Live, mais me déplacer pour un event associatif moyen : je préfère faire autre chose de mon temps libre, je joue avant tout pour gagner ma vie.
J’ai un contrat de deux ans avec PS et encore le désir de progresser ce qui est essentiel. Le niveau continue de monter, les mauvais le sont de moins en moins, à moi de m’adapter. »
Gabriel vit à Paris mais voyage beaucoup : 4 Pro Tour et quelques grands prix de Magic puisqu’il y est invité faisant partie du Hall of Fame et maintenant Vegas pour les WSOP qu’il n’a jamais manqué depuis ses 21 ans:
« Je jouerai une vingtaine d’Events : tous les petits buy-in entre 1000$ et 2500$ dans toutes les variantes, tous les tournois en Pot Limit Omaha et puis le Main bien sûr et un peu Cash Game à côté. J’y vais tous les ans et j’adore ça.
La première fois je squattais à l’arrache dans la chambre de potes, l’année d’après j’étais au Bellagio avec ElkY, maintenant je loue une maison. Je sors moins maintenant ça m’amuse moins et puis il n’y a plus la grosse soirée PS de l’époque avant le Black Friday qui était complètement folle !!! Je suis très serein là-bas, pas du tout affecté mentalement quand je perds et même un peu triste quand ça se termine. Depuis quelques années, je tiens aussi un blog sur le forum de Pokerstrategy et j’espère pouvoir y relater quelques deep runs cette année à nouveau. »
Gabriel est un fidèle en Amitié et porte un regard plutôt affectueux sur Pokerland :
« Même si je fréquente plus de personnes hors Poker, j’y ai de très bons potes : tous les joueurs de Magic (Nacho, Williams, Bonomo), ElkY, Ilan, Yann, Clément, Hugo, Tristan et Edouard. Si La Brigade s’installait plus près de chez moi, j’y mangerai tous les jours je crois tellement c’est bon !!
C’est un milieu assez intéressant le Poker avec pas mal de gens géniaux. Quoiqu’en disent des joueurs plus âgés, l’arrivée de la génération online a fait beaucoup de bien au Poker éthiquement parlant. Les vieux qui râlent c’est plus eux qui mettent une sale ambiance aux tables que les jeunes avec leurs écouteurs.
Hélas je suis pessimiste sur l’avenir du Poker en France : c’est très mal géré par l’état, par des gens qui n’y connaissent rien. Toute la législation est à revoir, mais rien ne change, tout le monde s’en fout. On nous brandit les risques de l’addiction et à côté de ça il y a le Rapido, c’est absurde !!!
Je n’envisage pas encore très sérieusement un après Poker même si durant ma période de bad run en 2013, je me suis posé la question. Je n’ai pas de diplôme mais je pense que je pourrai trouver du boulot dans les grosses boites de jeux ou pour une boite de paris sportifs … ou pourquoi pas passer de l’autre côté, mais bon j’y pense pas trop, j’ai le temps …. »
Le temps est au good run et souhaitons à Gabriel de nous faire un parcours “Magic” à Vegas