Ilan Boujenah : au Naturel
Ilan Boujenah un nom qui laisse rarement indifférent. Quand on le connait en vrai et qu’on a pu goûter son humour et son franc-parler, ses saillies où il parle de son excellence au jeu passent beaucoup mieux. Très actif sur les réseaux sociaux, Ilan en ce moment, comme beaucoup, tente de dialoguer sur le thème de l’antisémitisme et d’endiguer par le dialogue les idées qui le heurtent. Il le fait parfois avec maladresse, mais comme pour tout, toujours avec Passion. Portrait d’un trublion…
Une petite enfance parisienne
Ilan est né à Paris dans le 8e arrondissement. « Tiens un truc sympa pour toi, c’est mon père qui est gynéco qui m’a mis au monde ». Il a une sœur plus jeune avec laquelle il a été élevé et un frère et une sœur beaucoup plus jeunes, nés du remariage de son papa.
Ses parents divorcent quand il a 5 ans et il sera élevé par sa mère qui est une femme hyperactive et touche à tout : études de kiné, psycho, journalisme, associations caritatives. Le petit Ilan est scolarisé dans une école juive à Paris, bien que ses parents soient peu religieux : repas casher et Shabbat.
Sa mère décide de s’installer en Israël quand Ilan a 8 ans. Il l’avoue c’est très confortable de vivre avec deux femmes : « Je suis l’aîné mais ma sœur est un peu ma petite maman, j’ai eu une enfance choyée, que des avantages à être le seul mec »
Israël : une scolarité mouvementée
« J’ai fait ma scolarité primaire dans une Ecole juive à Paris, puis arrivé en Israël dans une école laïque privée : le Lycée français de Jérusalem. Je me souviens en CM1 un élève de CM2 m’avait traité de sale juif … j’ai sauté une classe et je me suis retrouvé assis à côté de lui. Un comble de partir en Israël pour être dans une école laïque et rencontrer de lantisémitisme »
La population est éclectique avec beaucoup d’expatriés : enfants de consuls et d’ambassadeurs, des chrétiens, des musulmans et seulement 5% de juifs.
Tout se passe très bien jusqu’à la 2e intifadah. Il a 13 ans et le climat houleux vécu à l’extérieur retentit au sein de l’école. Il y a beaucoup de tensions, des faits-divers tragiques vécus par des élèves : « L’ambiance est vraiment spéciale, tendue. On a du mal à comprendre ça vu d’ailleurs. Par exemple un mec s’est fait sauter devant un hôpital en face de mon lycée et sa tête a atterri en plein milieu de la cour de récréation… sang sur les murs jusqu’à 10 ans plus tard … c’était tellement tendu que le CPE, un Palestinien, a créé une heure de cours pour permettre aux élèves de tenter de dialoguer, débattre entre eux. Finalement le directeur un Grec a conseillé à ma mère de me changer d’établissement car j’étais le seul juif de ma classe. Je suis donc parti dans une Ecole israélienne, ce qui n’était pas simple pour moi : je connaissais l’alphabet mais parlais un hébreu des rues. »
Jusqu’en 6e il adore l’Ecole et aime apprendre. Adolescent il sera beaucoup moins appliqué. Victime d’un grave accident de voiture à 12 ans il est privé de sport pendant un an, alors que depuis ses 7 ans il joue intensivement au tennis. Dès la fin de sa convalescence il rattrape le temps perdu et reprend le sport à fond: football time.
Ilan passe son Bac, un bac laïque à dominante économique. Parlant de son adolescence il souligne : « J’ai toujours eu un gros caractère, mais de très bons rapports humains. Avec mon passage au lycée français, j’étais un des seuls à avoir des potes dans les territoires occupés et même dans les périodes politiquement difficiles, ça s’est toujours passé assez bien. »
Des mariages au Poker
Dès ses 14 ans Ilan fait des petits boulots. Il est serveur dans des mariages, des soirées. Il touche ensuite au télémarketing, puis se met à son compte pour vendre des compléments alimentaires. « C’était passionnant ce job pour Herba Life : il fallait être multitâches et inventif : prospectus, recrutement, formation, distribution des produits, animation de stands etc … »
En parallèle il continue le foot en club et à 18 ans découvre le Poker. Il commence par des tournois entre amis, puis un peu de online et s’enhardit ensuite en Live dans des parties privées de plus en plus chères.
« Le Poker c’est interdit en Israël. Je jouais donc des parties illégales et certaines à gros enjeux. J’ai même fait le croupier dans des parties privées pendant 6 mois quand j’étais broke. Le plus gros billet israélien correspond à 40€, tu vois le tas de billets pour les parties chères !! Tout se faisait donc à l’écrit et on faisait les comptes tous les 15 jours. Je jouais 2 de ces privées, j’étais dans un run pas possible et boum les flics débarquent, comme dans les films, mains sur la table et embarquent tout… Je laisse 60 000€ dans cette affaire. »
La bougeotte
Après ce coup dur il annonce à sa mère qu’il va partir jouer à l’étranger et commence une vie de nomade. La Roumanie, des croisières, une bankroll qui fait le yoyo, des périodes broke de chez broke, deux mois pour se ressourcer chez Papa à Paris. Il réussit à remonter 10 000€, rembourse ses dettes et part en Amérique du Sud durant 3 mois où il ne jouera quasiment pas.
De retour à Paris après une sombre histoire de carte bleue oubliée dans le distributeur et volée, Ilan se met au boulot sérieusement : l’ACF devient son bureau où il officie de 7h du matin jusqu’au soir. Le 3e soir il prend son ticket à 10 000€ pour le WPT Paris et le 8 mai 2010 il transforme l’essai : il est 9e et se retrouve avec 58 695€ en poche.
De quoi s’organiser un joli petit périple, un tour à Vegas, quelques Lives, il se demande s’il ne va pas abandonner les MTT avec leur variance élevée pour revenir au Cash Game et arrive le WPT d’Amnéville.
Sa 3e place à 161 550€ assoit définitivement sa réputation de joueur de talent.Iil faudra désormais compter avec Ilan, qui depuis enchaîne les perfs, sa 4e place au PPT à Cannes en 2011 pour 300 000€ restant à l’heure actuelle la plus importante.
Ilan a la bougeotte c’est son tempérament. Il s’installe un temps en Espagne, puis repart quand la législation change. Actuellement il vit à Londres en coloc avec Ana Marquez et il s’y plait énormément : « Même si je bouge beaucoup et qu’en définitive j’y suis peu, j’aime la vie à Londres. A part le climat c’est nickel : la ville est propre, les gens sont sympas, j’adore l’humour anglais et l’ambiance est plutôt peace, il y a peu d’embrouilles. Paris j’aime pas. Oui c’est une ville magnifique, oui j’y ai de la famille et des amis, mais la mentalité n’est pas bonne, les gens sont froids, on sent trop de stress et de tensions. »
Une polémique
Ilan s’est montré très actif au cœur de la polémique sur l’humoriste controversé Dieudonné, il a eu des désillusions sur certaines personnes et a créé des liens avec d’autres mais il reste très remonté sur le sujet :
« Les gens sous-estiment ce qui se passe, c’est très grave. J’ai peut-être été excessif, mais ne rien faire était pour moi impossible. C’est effrayant et les réactions des uns et des autres m’ont ouvert les yeux sur beaucoup de gens. Je pense que virer des contacts de Facebook ça ne sert à rien, il faut argumenter, mais j’ai serré trop de mains sales. C’est incompatible de me fréquenter et d’être fan de Dieudonné.
Si j’ai soulé du monde tant pis, c’est trop important, trop grave. Monter des peuples les uns contre les autres, c’est un crime contre l’humanité. Sous couvert d’humour le message est clair : révolution et libération. J’aime beaucoup l’Histoire et là tout ça est effrayant : des symptômes qui ont été ceux précédant certains débuts de guerres apparaissent, un véritable appel au chaos, c’est irresponsable »
Un engagement qui l’a amené à subir des critiques, qui pour certaines émanant de joueurs qu’il apprécie l’ont affecté : « Les contacts randoms j’en ai rien à battre. J’ai eu un mouvement d’humeur quand j’ai lu la réaction de Ludovic Lacay qui met sous un de mes statuts : Unfriend. Si l’on veut pas lire quelqu’un on le masque aucun intérêt de venir le discréditer en commentant. Dès le lendemain on s’est expliqué et on s’est excusé tous les deux. J’aime beaucoup Ludo et pour moi quelqu’un qui sait s’excuser quand il faut est une personne intelligente et mature qui mérite le respect.
Erwann lui il a carrément écrit : «Tu me saoules, Tu nous saoules Tais-toi un peu » Là je me dis : “Attends attends voir… Je saoule qui? Tu représentes qui? C’est pas un appel au like un peu facile? Le like de tous les gens qui se sentent pas concernés et qui pensent que les juifs font tout un plat de peu. J’aimerais bien les y voir tiens. Comment on peut juger une position dans laquelle on n’a jamais été et on ne sera jamais?
J’ai toujours été plutôt ouvert et sympathique avec lui, j’ai même pris sa défense quelques fois quand j’entendais des gens raconter des méchancetés (car dans ce milieu on a rien d’autre à foutre que de parler de la vie des autres), mais il a eu quelques maladresses envers moi de par le passé, dont je pense (et j’espère surtout) qu’il ne les voyait pas comme telles. Du coup j’ai répondu avec virulence et légitimé mes propos, par l’énumération des choses que j’aurais pu lui reprocher par le passé et sur lesquelles j’avais passé la gomme dans ma tête directement. Je me disais : il est jeune, c’est un geek, les rapports humains ça s’apprend et ce n’était pas à moi de l’éduquer. Si je l’avais fait on aurait pu me reprocher de le prendre de haut, c’est le système “perdant/perdant”.
J’ai aussi précisé que si on ne voulait pas lire quelqu’un il y avait un bouton tout bête à cocher, et que je l’avais fait il y a déjà un an sur son profil, sans pour autant venir lâcher un commentaire cynique sur combien il est doué en cirage de chaussures.
Franchement, ce n’est pas comme si je passais ma vie à faire des propagandes virtuelles et si je l’ai fait j’attends d’une personne sensée qu’elle me donne le crédit d’avoir une raison légitime de le faire. L’ampleur qu’a prise l’affaire Dieudo par la suite sur le plan national m’a en plus donné raison je trouve. Et puis il a qualifié le sujet de “subjectif”, ce qui démontre bien qu’il n’en a rien à foutre, qu’il n’est pas du tout informé et qu’il sous-estime complètement la catastrophe potentielle.
Evidemment, chacun sa merde quoi. J’aurais voulu voir son discours s’il avait une sœur juive de 15 ans, de plus magnifique et très grande gueule, qui se ballade à Paris dans la nature dans cette ambiance, qui me fait trembler de peur. A mes propos il a répondu quelque chose comme : “Tu es fou, je te demande d’arrêter de poster sur un sujet subjectif et toi tu m’insultes” en énumérant des explications à mon avis incohérentes, fausses, déformées, déguisées, aux reproches parallèles que je lui faisais sur son comportement antérieur avec moi. J’ai encore répondu par la suite pour démontrer leur absurdité.. A cela il a répondu “Ok salut” Les post sont toujours présents sur mon wall pour ceux qui veulent s’amuser à vérifier mes dires »
A ma question sur un éventuel communautarisme dans le Poker, il ironise : « Dans le poker il n’y a que des Juifs et des arabes, comme ça je suis pas dépaysé. Plus sérieusement ce n’est pas du tout un critère pour moi. Oui Davidi, Basile ou Anthony font partie de mes proches, mais j’ai des amis de toutes confessions et de toutes nationalités. Beaucoup de français ayant arrêté les MTT, Tristan, Idris, Yann, Lucille, des bandes de joueurs internationaux se créent. A Prague on a fait une session de grind il y avait de tout : suédois, koweïtiens, allemands, joueurs d’Amérique du Nord et du Sud »
Arrogance, Franchise et Médias
Ilan on le sait n’a donc pas la langue dans sa poche. Dans le film de Tapis Volant on le voit en plein tilt avec des mots durs et un jugement sur son propre jeu, qu’il juge parfait, qui a fait grincer quelques dents. Pour lui ce n’est qu’un polaroïd à un instant T :
« J’ai l’impression que tout le monde m’aime sauf ceux qui me détestent. Cette phrase qu’on a dit sur moi un jour m’a marquée. Pour ce qui est de la diplomatie etc: Tant que je ne suis pas sponso je ne ferai pas d’efforts, pourquoi devrais-je etre sélectif dans ce que je pense ou ce que j’ai envie de dire tant que je ne représente rien d’autre que moi? Si ça arrive je serai plus prudent dans ma Com, n’importe qui peux le faire.
Je suis spontané, je ne me prends pas la tête et je n’aime pas les petits jeux de rôles que nous incarnons dans ce monde du Poker. Je ne calcule pas comme certains pour me faire bien voir, je n’aime pas dire les choses à demi-mots ou utiliser des pincettes, je dis les choses comme je les ressens.
Tapis Volant quand j’ai accepté qu’il me filme savait à quoi s’en tenir : je venais de passer une année atroce, une cata sans nom, me prenant des bads de l’espace, des bulles, j’étais frustré et pas du tout en état d’arrondir les angles. Et puis finalement la vraie réalité d’un joueur non sponso sur le circuit c’est plus constructif non ? J’ai d’ailleurs eu beaucoup de feedbacks positifs et Victor aussi à ce sujet. Des vidéos qu’on pourrait intituler “Le poker c’est trop coooool jalousez moiiiiiii” existent par dizaines. Moi j’ai montré ce que j’étais à ce moment-là : un joueur en tilt qui a perdu 150 000€ en trois mois, qui a sauté à la bulle du High Roller. J’étais au naturel. Moi quand je perf un tournoi ça change ma vie à court terme, il faut comprendre ça. jJai montré ma déception sans censure. J’ai déjà perdu sans être aussi mal, sans réagir de manière aussi extrême, et pas des coups à 3 francs, ceux qui me connaissent le savent. Mais là entre le Live et le Online je vivais un pur cauchemar !!! »
Dans le même registre on parle sponsoring. Cette étiquette d’arrogance a-t-elle pu le desservir dans le milieu ? Avec son palmarès étrange qu’il n’ait toujours pas une room derrière lui.
« Pourquoi on souligne de manière spéculative ma soi-disant arrogance et on ne voit pas tout ce que je fais de bien à côté ? Il m’est arrivé de prendre des horreurs sans bouger un sourcil. C’est vraiment un milieu de faux-cul et moi ce n’est pas ma tasse de thé de dire ce que l’on attend que tu dises pour faire bien. Moi je ne tweet pas pour raconter que j’ai volé les blinds : ce sera pour une main décisive, bien ou mal jouée, je tweet mes erreurs contrairement à beaucoup de “collègues” . Il y en a même qui réécrivent un coup pour se donner le beau rôle avant de le poster. Moi je post les coups qui sont importants, les gros pots gagnés qui changent ton tournoi, ou les gros coups perdus qui te font bust.
L’année passée malheureusement contenait trop de déceptions et donc par conséquent mes tweets étaient plus aigris,acerbes, logique non? Regarde un mec comme Negreanu. Il a le plus gros contrat du monde, il est tout le temps en train d’ouvrir sa gueule et de créer des polémiques et ça joue plus en sa faveur qu’autre chose.
Sinon à mon premier WPT Paris j’ai infligé un bad à Bruel et je sais qu’il a très mal parlé de moi ensuite à la télé et en privé et que ça ne m’a pas aidé. C’est vrai que j’ai tendance à beaucoup parler à table en général pour prendre des infos, en donner des fausses, mais là j’étais plus dans l’adrénaline et l’excitation : c’était le plus beau jour de ma vie!!! Ca ne lui a pas plu tant pis … »
Ilan joue aussi de malchance : il devait signer avec Partouche et la room ferme, puis avec Betclic mais l’équipe en place change et rien n’est finalement signé. « J’ai pas fait certains fayotages que d’autres ont fait, pas envie. Quand tu prends le classement des 23 premiers joueurs français, je suis 23e, les 22 avant moi ont tous été ou sont encore sponsos : mon tour devrait logiquement venir, j’ai un Agent qui travaille pour moi et une certaine présence médiatique en France comme à l’étranger »
A propos de médias quand je lui parle de la polémique avec Roger, il rigole. Pour lui c’est une polémique en carton, organisée par Roger qui aime bien faire le buzz. Il aime beaucoup Big Roger et au final cette histoire a été positive pour l’image des deux joueurs car : ” Quand on parle de toi dans ce milieu, c’est que tu existes. A part si c’est pour dire que tu es un voleur lol ”
Et l’avenir ?
Il trouve que l’idée des Etats Généraux du Poker lancée par Philippe Ktorza est excellente. « C’est une très bonne idée. Quand tu vois le foutage de gueule du prix des chambres à Amnéville, ou le prix de la bouteille d’eau sur certains tournois !!! Pour certains on est des vaches à lait, mais quand les joueurs seront brokes c’est tout le système qui s’écroulera. Maintenant certains organisateurs font de plus en plus d’efforts pour améliorer l’accueil des joueurs »
Ilan a pris de la distance et n’a plus ni le temps, ni l’envie de regarder et lire tout ce qui touche au Poker : il préfère lire un roman, regarder un film ou suivre l’Actualité Internationale. A 25 ans il sait que le Poker n’est pas une fin en soi, mais il veut avant de raccrocher monter encore plus haut :
« Ce serait criminel d’arrêter maintenant. Un grand sportif dit stop arrivé à l’apogée de sa carrière et je sais que je peux faire mieux que là où j’en suis actuellement. A court terme je veux monter de l’argent pour pouvoir investir et bénéficier par la suite de revenus passifs. J’ai une vision de la vie bien à moi : kiffer, faire kiffer mes proches, ne jamais m’ennuyer ou tomber dans une routine. Je veux voyager, vivre, apprendre, profiter, me fixer des challenges et avec de l’argent tout est plus simple. Et puis bien sûr quand je rencontrerai la bonne personne je voudrai fonder une famille »
Le regard est sans concessions, mais dans ce monde où parfois les sourires et les embrassades cachent une profonde indifférence voire même de l’animosité, cette franchise affichée apporte un vent de fraicheur. Souhaitons à notre trublion de kiffer encore longtemps ….
Mama Bijoux
* Les photos sont tirées de la collection personnelle d’Ilan